Les nouvelles habitudes des jeunes interpellent et défient les médias traditionnels
Les médias d’en bas, alternative à la misère médiatique d’en haut

Quelle est la raison de ce comportement ? La réponse est constituée d’un très large éventail de points de vue, allant de ceux qui incriminent l’apathie et le désintérêt croissant des jeunes, à ceux qui estiment que la crise de l’information n’est rien d’autre que l’expression de la crise d’un système global, à laquelle les contenus d’information ne peuvent échapper.

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La Suisse fait partie des pays les plus “riches” du monde. Pourtant, un habitant sur deux est un “indigent médiatique”. Cette situation se répète, à quelques exceptions près, dans de nombreux autres pays du monde. La crise de la presse traditionnelle se traduit par un désintérêt croissant pour les contenus d’information.

C’est l’une des principales conclusions de l’Annuaire 2023, publié par le Centre de recherche sur l’opinion publique et la société de l’université de Zurich (FÖG, en allemand).

Le fossé entre les “informés” et les autres se creuse rapidement. En Suisse, les “indigents” des médias représentent 43% de la population. Synonyme de pauvreté, de pénurie ou de sous-information, en ce qui concerne l’accès et la consommation des médias traditionnels (presse écrite, radio et télévision). Par exemple, les adultes de moins de 25 ans ne consomment que sept minutes d’informations par jour, et ce sur leur téléphone portable .

Les médias traditionnels face au phénomène de l’indigence médiatique. Photo FÖG, Zurich

Une tendance mondiale dominante

Le déclin de l’audience est l’un des trois problèmes qui menacent le journalisme au niveau mondial. Les autres sont le faible niveau de confiance dans les médias et la menace qui pèse sur l’environnement commercial de ces médias, principalement en raison de la baisse des recettes publicitaires. C’est ce qu’indique le Digital News Report 2023 du Reuters Institute of Journalism et de l’Université d’Oxford

Ce rapport, publié en juin de cette année, rassemble des données provenant de “six continents et quarante-six marchés”. Pour comprendre la notion de marché – qui remplace ici celle de pays – il est important de rappeler que Thomson Reuters, l’une des plus grandes transnationales de l’information au monde, était déjà l’un des trois plus grands monopoles d’édition à la fin de l’année 2020. Son portefeuille principal consiste en des services de conseil juridique aux gouvernements, aux cabinets d’avocats et aux grandes entreprises. A l’heure actuelle, seul un petit pourcentage de son activité commerciale est axé sur une agence de presse classique. Du point de vue de Reuters, comme de tant d’autres entreprises d’information, un pays – n’importe quel pays – ne compte qu’en termes d’opportunités commerciales, ce qui a des implications très sérieuses pour la dynamique du journalisme. En d’autres termes, il ne s’agit plus de “reportage” mais de “vente” d’informations.

Les révélations les plus frappantes du Digital News Report 2023 concernent “la nature changeante des médias sociaux”, due en partie à la baisse de l’engagement sur les plateformes traditionnelles, telles que Facebook, et à la montée en puissance de TikTok et d’autres réseaux basés sur la vidéo. En outre, ces changements sont fortement influencés par les habitudes des jeunes générations qui ont grandi avec ces mêmes réseaux et qui ont aujourd’hui tendance à accorder plus d’attention aux influenceurs ou aux “célébrités” qu’aux journalistes traditionnels, même s’il s’agit strictement d’actualités.

Les nouvelles générations ont intégré d’autres sources d’information, délaissant pratiquement les médias traditionnels tels que la radio, la télévision ou la presse écrite. Photo : FÖG, Zurich.

En ce qui concerne la question de l'”indigence des médias”, bien que le Digital News Report 2023 ne la conceptualise pas de cette manière, il reconnaît que le nombre de personnes qui évitent régulièrement de lire des nouvelles reste proche des records : 36% du total des personnes interrogées. Il constate que ce groupe est divisé en deux : d’une part, ceux qui cherchent à éviter habituellement toutes les sources d’information et, d’autre part, ceux qui essaient de limiter spécifiquement leur consommation d’informations sur certains sujets ou à certains moments.

En ce qui concerne les sources d’information, ce rapport conjoint Reuters/Oxford University note que seul un cinquième (22%) des personnes interrogées préfèrent commencer leur parcours d’information par un site web ou une application d’information, soit une baisse de 10 points de pourcentage par rapport à 2018. Il souligne également que, dans l’ensemble, les jeunes préfèrent accéder aux informations par différents canaux, tels que les réseaux, les moteurs de recherche ou les agrégateurs mobiles.

Entre les médias traditionnels et les médias sociaux comme source d’information. Un débat fondamental, en particulier pour les jeunes, Foto FÖG-Zúric

Le rapport montre également que Facebook, bien qu’ayant perdu des utilisateurs, reste l’un des réseaux les plus utilisés, mais que son influence sur le journalisme diminue à mesure qu’il s’éloigne de l’actualité. En outre, il est confronté à de nouveaux défis de la part de plateformes établies, telles que YouTube ou de plateformes dynamiques et axées sur les jeunes, telles que TikTok. Cette dernière – un réseau détenu par des Chinois – touche 44 % des 18-24 ans sur tous les marchés et représente 20 % des sources d’information. C’est en Asie-Pacifique, en Afrique et en Amérique latine que sa croissance est la plus rapide.

En ce qui concerne l’actualité en particulier, le public des plateformes telles que TikTok, Instagram et Snapchat admet s’approvisionner davantage auprès des influenceurs, des “célébrités” et des personnalités des médias sociaux qu’auprès des journalistes traditionnels. Par contre, sur Facebook et X (Twitter), les médias et les journalistes occupent toujours une place importante.

L’information entre les crises et les défis

Les questions fondamentales concernant la situation actuelle de l’information restent ouvertes. L’une d’entre elles, essentielle et fondamentale, nous ramène à la question initiale de l'”indigence médiatique” : peut-on vraiment considérer comme indigents médiatiques les personnes qui ne se nourrissent pas des médias traditionnels ?

Il n’est pas moins pertinent de chercher à comprendre cette distanciation des médias traditionnels de la part de larges secteurs de la jeunesse, qui consultent d’autres canaux d'”information”. Quelle est la raison de ce comportement ? La réponse est constituée d’un très large éventail de points de vue, allant de ceux qui incriminent l’apathie et le désintérêt croissant des jeunes, à ceux qui estiment que la crise de l’information n’est rien d’autre que l’expression de la crise d’un système global, à laquelle les contenus d’information ne peuvent échapper.

Sergio Ferrari depuis Berna pour La Pluma

Original:   Los nuevos hábitos juveniles interpelan y desafían los medios tradicionales
Nuevos medios de abajo, alternativa a la indigencia mediatica de arriba

Edité par María Piedad Ossaba

Traduit par Rosemarie Fournier*

*Rosemarie Fournier est une bibliothécaire-enseignante suisse. Elle a travaillé plusieurs années en Amérique latine (Bolivie et Nicaragua) pour la coopération au développement, avec l’ONG E-CHANGER. Elle collabore régulièrement avec le journaliste Sergio Ferrari, traduisant ses articles en français.